DUBUFFET (J.). Ler dla canpane. Paris, L'Art Brut, 1948, in-12, agrafes, couverture.
Une réalisation célèbre
Paru en 1948, Ler dla canpane est le premier texte en jargon de Dubuffet, calligraphié et illustré par ses soins.
La transcription phonétique est, pour le peintre, un moyen de retrouver cette "langue vive", cette "langue de fête", occultée par des siècles de grammaire et d'orthographe, et que l'on aperçoit parfois au détour d'un calembour, d'une injure ou d'une affiche. Plus sérieuse qu'il n'y paraît, cette entreprise pour revivifier la langue généra deux autres textes en 1950 : Avouaiaje par in ninbesil avec de zimage et Labonfam abeber par inbo nom.
Typique de l'Art brut, dont il illustre les préceptes, ce menu livre a été réalisé avec les moyens les plus rudimentaires qui soient. Sa genèse est bien connue, grâce à une note explicative de Dubuffet, réalisée des années plus tard, en 1962. Le texte fut calligraphié à l'aide d'un rudimentaire stencil et Dubuffet préféra à la pierre lithographique le linoléum et des supports aussi dérisoires que les fonds de boîtes de camembert et de cirage.
Ler dla canpane est connu par deux éditions, l'ordinaire, limitée à 150 exemplaires sur papier journal, et une autre, rarissime, imprimée à 15 exemplaires sur le même support, mais maculés au rouleau encreur et comprenant 2 pages et 4 gravures supplémentaires.
Une version embryonnaire de l'œuvre
Dubuffet y exprime sa sensibilité de manière plus instinctive et radicale. À tous niveaux, ce fascicule au plus près de l'Art brut, fait office de laboratoire.
Le texte calligraphié, piqué à plat et couvert de maculatures d'encre, est illisible. Son effacement transforme complètement la nature de l'ouvrage. Réduit à un rôle ornemental, il n'est plus qu'un élément de cette esthétique sauvage véhiculée par les gravures et les effets de matière. Davantage qu'un texte illustré, le livre apparaît alors comme un authentique livre-objet, à la valeur exclusivement artistique et visuelle.
C'est bien, ici, l'iconographie qui est le plus sûr vecteur de l'état d'esprit de l'artiste. Jubilatoire et fruste, remplie de griffures et grattages, elle comprend 4 gravures supplémentaires : Danseuse, Tireur de langue, Trois personnages, Personnage et chien. Aux supports déjà employés, linoléum, fonds de boîtes de camembert, Dubuffet a ajouté le feuillard de placage. Figures réjouies ou expressives et paysages graffités forment un bel ensemble.
Enfin, poussant jusqu'au bout l'irrévérence, Dubuffet a également ajouté deux pages, page de titre et page de justification, qui dénaturent plus sûrement encore, par leur simple présence, ces rites bibliophiliques dont il se moque, d'autant que la justification destine malicieusement cette édition aux "samatere detrase etdanprinte" [aux amateurs de traces et d'empreintes].
Édition (tirage) limitée à 15 exemplaires chiffrés.
Noël Arnaud, Jean Dubuffet : gravures et lithographies, n° 96-105 ; Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, I, pp. 475-478 ; Antoine Coron, 50 livres illustrés depuis 1947, n° 6 ; Castleman, A Century of artists books, p. 46.
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